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Floozman est une plate-forme multimodale

par Bertrand Cayzac

Table des matières

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Fred Looseman a été l’évaluateur en chef de risques au Crédit Mondial ainsi que le président de la Commission pour la répression du blanchiment des capitaux. À présent, son travail consiste à réparer les guichets automatiques de banque.

Parfois il entend des voix qui l’émeuvent au point de pleurer. Comme son compte en banque déborde de l’argent de la délivrance, c’est à de tels moments qu’il se transforme en super-héros de la finance : Floozman.


Rassurons-nous : en dépit de ses prétentions mystiques et industrielles, Floozman est un concept hyper cool. Il est à la fois corpusculaire et ondulatoire. Il se laisse décomposer en couleurs primaires. On peut le mettre dans sa poche pour l’emmener partout.

Réjouissons-nous : Floozman est vivant et jeune comme le monde est jeune. Résistant aux catégories du réel et de l’imaginaire, il se vend, il se donne, il s’infuse librement dans tous les domaines, voyageant sous forme concentrée pour renaître perpétuellement hors de portée de celui qui l’invoque.

Enrichissons-nous, enfin : s’il préfère jeter son pain à la mer, Floozman sait aussi mettre en œuvre des business models plus raisonnables. C’est ainsi qu’il vous invite à créer de la valeur avec vos propres contenus grâce au dispositif décrit dans ces pages.

En effet, dans le paradigme technique où nous nous engagerons en temps utile, ce concept et son traitement constitueront une « plate-forme », un ensemble organisé de fonctions sur lequel auteurs et producteurs pourront capitaliser en vue de générer une grande variété d’œuvres de l’esprit.

Nous utiliserons pour la décrire le langage et les outils qui conviennent à notre industrie, en attendant que souffle l’esprit, s’il le veut. Mais au préalable, avec la liberté dont nous jouissons encore, voyons ce que l’on peut dire de l’idée centrale.

Le concept

« Par une scandaleuse abondance»

Le flux intarissable d’argent qui s’épanche à travers Floozman émane d’un point situé au-delà de l’entendement. Ainsi la source très probablement céleste de son pouvoir lui procure-t-elle le fluide le plus matériel et le plus mercantile qui soit.

A ce paradoxe fait écho le fameux scandale de l’incarnation. Peut-on imaginer la présence de la divinité non plus dans la chair mais dans l’argent ? L’éternel choisirait-il de s’investir plutôt que de s’incarner ?

Il s’agit également d’un scandale logique, rien ne justifiant la surabondance des actifs que mobilise Floozman. Offensante pour ceux qui travaillent ou qui restent assujettis aux contraintes économiques, l’injection de ces richesses mal acquises dans le système financier constitue un crime et un péril pour l’équilibre du monde.

En effet, Floozman est dangereux comme l’est un révolutionnaire ou un prophète. Avec lui, la finitude familière dont l’argent est le chiffre se trouve menacée par le jaillissement de l’incommensurable qui annonce la fin de la rareté et la fin des temps.

Enfin, malgré sa charge d’âpreté et de mal, l’argent circule autour du monde comme un équivalent universel. Valeur des valeurs dans le ciel vide et anomique du siècle, sa puissance s’étend sans cesse à de nouveaux domaines pour capter toutes les attentions. On aime l’argent. Rien n’est plus fascinant que de le voir opérer sans voile, dans la lumière crue de l’échange économique.

C’est ainsi que le sens obvie de certaines aventures prendra parfois une tournure obscène, à tel point qu’il deviendra malaisé de voir dans la prodigalité du héros le reflet de l’épanchement céleste sur un plan inférieur.

Bien que tout ceci suggère que Floozman se prête à différents niveaux de lecture, il n’est pas certain que l’on puisse rendre compte de manière cohérente d’un pareil monstre symbolique, figure de synthèse instable née du rapprochement de forces élémentaires. Comme le verbe anime le Golem, comme la foudre donne vie à la créature de Frankenstein, l’argent déchaîne l’esclave. Ça ne peut pas bien se terminer, on s’en doute.

« il apporte la délivrance »

Pourquoi l’épigraphe ne comporte-t-elle pas de complément ? De quelle délivrance s’agit-il ? A qui est-elle apportée et de quoi libère-t-elle ?

Le Floozboy farceur a dit : le mal. Voilà ce dont l’âme est délivrée. Mais peut-elle être délivrée du bien ? Le bien n’est-il pas simplement la délivrance ?

Le Floozboy savant a répondu : on ne peut pas répondre sans occulter la portée transcendante de l’idée car il n’est qu’une délivrance.

Les aventures de Floozman n’en comportent pas moins des enjeux et des protagonistes. Floozman entend avec compassion la plainte des captifs qui aspirent sincèrement à la liberté. Comme un ange, il traverse les mondes pour exaucer leurs prières. L’argent est l’épée dans sa main qui tranche les liens. Comme un messie, il délivre les hommes de l’obscurité et l’esprit de la matière. L’argent est la lumière supérieure dont il rayonne.

Malgré la modernité de Floozman, nous avons le sentiment d’être dans un univers très ancien plongeant ses racines dans l’antiquité. Un univers dont le démiurge s’est retranché à l’aube des temps et qui veut retourner à lui. Ou bien une catastrophe cosmique s’est-elle produite de sorte que l’esprit est tombé en pluie d’étincelles dans l’épaisseur de la matière ?

Floozman sait simplement que des prisonniers ont besoin de lui et qu’il a le pouvoir de les aider. Il affronte le mal sans cesser d’être vulnérable, tantôt fort, tantôt faible selon le sort du combat où malgré sa part divine, il lutte comme un mortel. Il ne connaît pas le sens ultime de sa présence au monde mais il ne manquera pas d’apporter des éléments de réponse dans les disputes qui restent à écrire.

Les captifs, quant à eux, sont la plupart du temps de « vrais gens » bien que Floozman délivre de loin en loin un chien de compagnie ou un fer à repasser. Leur esclavage et leurs souffrances sont très ordinaires.

Il faut noter que le héros se trouve plus souvent confronté à la lassitude qu’à la corruption du corps contre laquelle sa puissance doit encore s’affirmer. Nous verrons pourtant que dans certaines circonstances, Floozman n’hésite pas à descendre aux enfers.

Traitement

Le concept ainsi dégagé, il est temps d’aborder la manière dont nous l’exploiterons ici.

Avec ses pouvoirs, sa mission et son grand manteau, il est commode que Floozman soit un super héros. Il lui faut donc un mode opératoire générique, principalement pour les adaptations au cinéma et la production de séries télévisées. Voici l’essentiel de ce schéma de fonctionnement. Une description sous forme d’automate en est donnée plus loin pour faciliter la mise en œuvre d’outils d’industrialisation.

Floozman connaît avant tout un état de veille dans lequel il n’est que Fred Looseman, un pauvre type à moitié abruti qui peine à se souvenir d’un contact fatal avec le sacré bancaire. Son histoire est révélée dans l’épisode initial.

Parfois, Fred Looseman entend la prière d’une créature désespérée. C’est alors qu’il tombe en transe puis qu’il se transforme comme le font ses homologues américains. Cette réponse à l’appel est le premier pivot de la narration.

Devenu Floozman, il dispose de liquidités financières infinies et d’une équipe virtuelle qui l’aide à les employer de manière quasi instantanée. Sur le terrain, ce sont les Floozgirls et les Floozboys qui le secondent pour organiser le salut des affligés.

Chaque « sortie » de Floozman s’effectue dans l’urgence et dans un climat d’allégresse messianique croissante. Selon le succès de l’intervention, Floozman, sa suite et les personnages qu’il sauve peuvent accomplir des miracles, voire atteindre des états de conscience supérieurs provoquant l’accomplissement de processus cosmiques tels que la dissolution du monde sensible.

Mais le mal n’est pas définitivement repoussé. Bien plus que la police ou les bandits contre lesquels Floozman se renforce à chaque instant, la raison, le calcul, l’esprit de sérieux et l’idolâtrie sapent ses forces jusqu’à ce que se rompe le lien qui l’unit à la source intarissable. C’est souvent par surprise que Floozman tombera dans un piège mondain.

Parfois Floozman rencontre de réelles difficultés ou les effets pervers de ses propres actions. Le piège est alors fait des limites, des échecs et des éléments irréductibles qui viennent briser l’élan mystique du héros.

Ce contact avec les viles pensées, les doutes ou les résistances constitue le second pivot de la narration.

Le charme est rompu. Contaminé par le mal, Floozman connaît de nouveau la chute. Il redevient Fred Looseman pendant qu’un ordre différent émerge et se stabilise. Les esclaves affranchis jouissent de la liberté, il retrouve sa vie crépusculaire et son anonymat. C’est la fin du cycle.

Psychogenèse

Je vous en livre l’essentiel bien qu’elle soit sans grand intérêt. Floozman pourra faire son office sans aucune référence aux circonstances de sa création.

J’ai imaginé cette première version du personnage dans les chaînes lâches d’un esclavage ordinaire. Produite dans les interstices de la servitude, elle est la résultante de pensées contraintes et intermittentes, d’élaborations souterraines hâtivement recueillies dans la crainte du lendemain.

Floozman a dû se faire monstre pour exister. Pour se faire entendre, il lui a fallu prouver qu’il était vivant, animé par la nécessité la plus brutale, une force égale à celle qui me contraint à travailler dans les entreponts de la technostructure.

Pour ne pas tomber dans l’oubli nauséeux quelque part sur l’autoroute A4, il lui a fallu crûment parler d’argent jusqu’à ce que la réalité de son existence me tire du sommeil : une abstraction vaguement obscène s’incarnait pour de bon dans un héros burlesque qui parlait d’espérance, armé du fluide hyper réel de l’argent.

J’ai dû renoncer dès le commencement au projet d’une nouvelle aboutie pour laisser s’épancher sa parole libératrice. Attentif à ses résonances dans les récits de l’exil, je me suis employé à lui donner forme et sens dans mon univers, sans jamais oublier que les pauvres habits que je lui ai procurés ne seront jamais dignes de sa grandeur transcendante.

Je voudrais emprunter leur savante chimie au ventre de l’araignée qui sécrète son fil ou aux gènes qui fabriquent la pupille des chats. Ces systèmes vivants organisent les pauvres molécules environnantes en formes complexes. Ils assemblent de longs polymères et produisent des tissus uniques et si beaux qu’ils plaisent immédiatement sans concept.

Une faculté analogue me permettrait de filer un récit original. Or je n’utilise que des matériaux préconstruits pour édifier un épisode. Lorsque je ne greffe pas une séquence de vie je m’en vais prendre sur la place publique des éléments complets comme on bricole une cabane : mythèmes, copeaux de grands écrits, bouts de séries, comic strips, fragments de classiques, recettes managériales...

Sans frémir, je couds les uns avec les autres. J’ai toujours sur moi un peu de fil de fer pour que ça tienne un peu. En fait je trouve ça plutôt rigolo mais je ne suis qu’un clochard pressé et je n’amasse pas de mousse.

Bien que le bricolage soit à l’œuvre dans la création culturelle, je n’invoquerai pas Lévi-Strauss pour justifier ce pillage. J’invite plutôt le lecteur à visiter le bidonville sans hésiter à signaler les emprunts que je ne cache pas.

Aussi pétri d’intentions qu’il soit, Floozman sera un héros. Le plus souvent maladroit et lourd de langue, il dira la misère des captifs. Et surtout, une fois le germe semé, comme je m’éloignerai dans le brouillard, paysan cagneux, Floozman deviendra ce qu’il est.

Plate-forme multimodale

Nous voici donc en présence d’une plate-forme. Elle est partiellement littéraire parce que Merdre ! Elle est multimodale parce que c’est joli et parce que les créations pourront se décliner dans une multitude de genres et d’activités dont une grande partie n’aura pas prétention à constituer de l’art : gadget théologique, obscénité télévisuelle, association caritative, produit financier, mouvement social...

Je propose ce socle comme point de départ à tous les talents qui veulent l’exploiter. Dieu voulant, je poursuivrai l’écriture de Floozman dans la veine qui me plait, en me rendant attentif à ceux qui sont en exil et qui attendent de retourner au ciel des idées.


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