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Floozman sauve un chien

de Bertrand Cayzac

Chapitres publiés

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Il s’agit peut-être là de l’épisode le plus archaïque. À peine cinq minutes, pas de liens. On a beau cliquer sur les images, il ne se passe rien.

On y voit une sorte de « proto Floozman » à peine reconnaissable. Le propos est très ténu et plutôt incongru : ‘Floozman sauve un chien’ !

Nous sommes loin des séquences de transverbération monétaire ou des scènes de transe collective de la dernière période. Tout se passe comme si Floozman effectuait une sortie expérimentale pour se rôder.

Au début, des motifs au ras du sol occupent tout le plan. Puis vient une écrasante barre d’immeubles très haute sur l’horizon. Une violente embardée nous emmène brusquement dans une cage de verre. On s’aperçoit qu’elle correspond au mouvement impatient d’un propriétaire tirant sur la laisse de son chien.

Plus tard, dans l’ascenseur ce chien pleure en silence et l’on entend une petite comptine, comme une « nursery rhyme » :

Chant du chien :

« Délivre-moi !
Rachète- moi !
Rien n’est bien
Pour un chien
Et le malheur
Est sans odeur ».

Dans la salle informatique déserte, Fred Looseman ferme les yeux. Son téléphone sonne.

— C’est un chien ! dit-il avant d’avoir entendu son correspondant.

À son bureau, Mlle Marinella se retourne pour regarder la ville

— Un chien ! Eh bien, vous devez sûrement commencer par lui ! Je vous envoie les Floozboys. Et puis, ne vous perdez pas tout de suite, cette fois.

Aussitôt des Floozboys l’emmènent auprès du chien. Lorsqu’il descend de la voiture, il porte le masque et l’habit de Floozman.

— Est-ce toi qui m’appelles ?

— Ouaf !

— Chien, je te délivrerai. Voilà, je te rachète. Monsieur, combien pour ce chien ?

Le propriétaire du chien est pressé de rentrer chez lui.

— Mais il n’est pas question que je vous vende mon chien. Je ne vous connais pas, et puis vous êtes ridicule avec ce masque. C’est pour un jeu ? Qu’est- ce que vous me voulez ? Je suis pressé.

— Monsieur, je suis très sérieux. Votre chien est accablé de tristesse. Je sais ce qu’il ressent. Imaginez-vous seul dans un monde où plus rien n’est fait pour vous, rien pour vos sens, rien pour votre instinct, rien à aimer. Je vous en donne un million de dollars.

— Ça ne me fait pas rire.

— Un million de millions. Mais je veux le chien tout de suite.

Floozman se tourne vers les Floozboys.

— Faites le virement, et donnez lui un acompte.

Un Floozboy se connecte instantanément à Internet depuis son terminal. Un autre tend une énorme liasse de billets au propriétaire médusé. Au même instant, le téléphone du propriétaire sonne. Il entre en conversation avec son banquier. Il raccroche.

— Floozman ! C’est donc vous ? D’accord. Prenez le chien.

— Chien ! Tu es libre !

— Ouaf !

Les Floozboys poussent des cris de joie. Musique. Ils dansent une ronde car ce sont de joyeux garçons.

— Trouvons-lui un territoire !

— Ouaiis !

Ils roulent (en Rolls). Les Floozboys s’activent sur leurs terminaux. On voit des photos de maisons, des manoirs, des parcs. Des coups de fil sont passés aux agences, aux notaires. Le chien passe sa tête par la fenêtre.

Séquence abondance :

Magnifique bastide historique du XIIIème siècle entièrement rénovée et sécurisée dans un vaste domaine arboré de 15 000h avec chênaie, 1 lac et 2 piscines. Vue magnifique sur la vallée de la Dordogne. 5 suites lumineuses avec sdb dont le donjon avec jacuzzi, terrasse privative et piste d’hélicoptère. 20 grandes pièces. Combles aménagés. Observatoire équipé. Salle de réception avec cheminée d’époque, bibliothèque, salon, salle de billard, cuisines. Chauffage central sous contrôle électronique. Dépendances aménagées : 5 pièces, salon cuisine avec sdb, chauffage solaire secouru par le central. Ecuries. À proximité d’un village de 500 habitants. Nombreux services. 700.000.000 $

Fin séquence abondance

Ils parviennent à la grille d’un parc immense. Un couple vient les accueillir. Ce sont les gérants.

Floozman s’adresse aux Floozboys et leur demande de montrer au chien son nouveau domaine. Pendant que le groupe s’éloigne dans l’allée à la poursuite de l’animal, Floozman reste seul avec les gérants.

-Voilà, le domaine est à vous, vous avez accès à un budget illimité jusqu’à la fin de vos jours et au-delà. Tout ce que vous aurez à faire, c’est de vous assurer que ce chien vive dans la nature et qu’il ne manque de rien. Trouvez-lui aussi des compagnes et des compagnons.

Les gérants ne semblent pas vraiment satisfaits.

— Nous avons bien reçu le contrat par fax. Il y a quelques questions que nous aimerions vous poser directement.

— Allez-y.

— Eh bien, comment est assuré le domaine ? Et le chien? Demande la gérante.

— Et puis, qu’est-ce qui se passe si nous voulons partir en vacances ? Ajoute son mari. Il n’y a rien sur les congés. Voyez...

— Il n’y a rien sur les congés ? Attendez... Floozman cherche un Floozboy du regard, puis il se penche sur les documents

— Et puis, tout cet argent... fait la gérante hein, René ?

— Bon, nous allons rajouter une clause pour que la garde du chien soit assurée pendant les congés. Il faudra, euh... il faudra.

-Il faut bien préciser les congés payés, les jours de récupération et aussi le nombre de semaines consécutives, parce qu’on s’est déjà fait avoir...

Floozman regarde à nouveau autour de lui et ne voit pas une âme. Dans le lointain, on entend des cris de joie. Il reste silencieux. Les gérants le regardent fixement, sans sourire.

Sous leurs yeux, Floozman se voûte et se flétrit.

L’instant suivant, Fred Looseman se tient entre les deux gérants, hébété. Il ôte son masque sans comprendre. Il s’aperçoit qu’il tient encore un billet de banque dans sa main et le lâche comme s’il était brûlant. Au comble de la confusion, il s’enfuit à toutes jambes par la grille grande ouverte.

Le chauffeur de la Rolls le suit du regard.

— Ils l’ont encore laissé seul avec des vilains. C’est terminé...

Il se met en marche lentement, dans la direction où a fui Fred Looseman.


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